L'objectif de cet article est de faire une évaluation des tendances récentes des grandeurs hydroclimatiques dans le bassin de l'Ogooué en contexte de changement climatique. Pour cela, les données de pluies et de débits de ce bassin ont été analysées au moyen du test de Pettitt. Les résultats de cette étude révèlent une diminution statistiquement significative des modules annuels que le test de Pettitt situe en 1972–1973, mais rien de tel pour les pluies à ce même pas de temps. Les écarts des moyennes décennales à la moyenne interannuelle montrent cependant des liens plus nets entre ces variables, se traduisant essentiellement par une diminution synchrone au cours des décennies 1970 et 1980. Cette diminution est suivie d'une reprise au cours des deux décennies d'après (1990 et 2000), laquelle s'estompe à nouveau au cours de la décennie 2010. Les écoulements des saisons pluvieuses (printemps et automne) ont enregistré les modifications les plus importantes, suite aux variations des régimes pluviométriques des saisons sèches (hiver et été) qui les précèdent. La saison sèche d'hiver a connu entre les décennies 1970–1990 une diminution importante des précipitations qui a provoquée une chute des écoulements du printemps. Le rehaussement et la flexion respectivement notés au cours des décennies 2000 et 2010 s'accompagnent des mêmes tendances dans les écoulements du printemps. A l'inverse, entre les décennies 1980–1990, il a été noté une hausse conjointe des pluies d'été et des écoulements d'automne. La flexion des pluies d'été notée depuis la décennie 2000 est également perceptible dans les écoulements d'automne. Ces résultats pourraient servir à renforcer les capacités de gestion des ressources en eau dans le bassin versant concerné et dans la région. Ils apportent également de nouveaux éléments pour étudier et comprendre la variation saisonnière et la disponibilité de l'eau douce en aval, dans les estuaires et les zones côtières des rivières régionales. The objective of this article is to assess recent trends of hydroclimatic quantities in Ogooue basin in the context of climate change. For this, the rainfall and discharges data of this basin were analyzed using the Pettitt test. The results of this study reveal a statistically significant decrease in runoff that the Pettitt test situates in 1972–1973, but nothing like that for rainfall at this same time scale. The decadal deviations from the interannual average, however show links between these variables essentially marked by a synchronous decrease in the 1970s and 1980s. This decrease is followed by a recovery in the two decades following (1990 and 2000), which stops again during the 2010s. The flow of the rainy seasons (Spring and Autumn) recorded the most important modifications, following variations in the rainfall regimes of the dry seasons (Winter and Summer) which precede them. The dry Winter season experienced a significant decrease in precipitation between the 1970s and 1990s, which caused a decrease in Spring flows. The increase and flexion noted respectively during the 2000 and 2010 decades are accompanied by the same trends in Spring flows. Conversely, between the 1980s and the 1990s, there was a joint increase in Summer rainfall and Autumn flows. The decrease of Summer rainfall noted since the 2000s is also noticeable in the Autumn flows. These results could be used to strengthen water resources management capacities in the watershed concerned and the region. They also provide new insights to study and understand seasonal variation and availability of freshwater downstream, in estuaries and coastal areas of regional rivers.
L'intérêt désormais consacré à la compréhension de la variabilité climatique en Afrique centrale provient de son impact sur les écoulements, et ainsi sur les économies des pays en développement de cette région. L'Ogooué, l'un des plus grands fleuves d'Afrique centrale équatoriale par sa longueur (environ 1000 km), constitue un énorme espoir de vitalité pour les populations des pays qu'il traverse. Prenant sa source au Congo-Brazzaville, dans la partie occidentale des plateaux Batékés, sur les monts Massa, il parcourt essentiellement le territoire gabonais avant de se jeter dans l'océan Atlantique. Ce fleuve a fait l'objet d'un nombre relativement modeste de pertinentes études tant hydrologiques que climatologiques depuis le début de ce vingtième siècle; et pour cause, le manque de données d'observation sur cette période. Le peu d'études existantes a porté aussi bien sur l'évaluation de la ressource en eau que sur des projets d'aménagements potentiels dans les domaines hydro-agricole et hydro-électrique ou encore sur la propagation des crues (E. D. F., 1961; Carré, 1978; Buisson, 1985a et b; Mahé et al., 1990, 2013; Bogning et al., 2020; Ebodé, 2020). La station de Lambaréné est parmi les plus anciennes et l'une des mieux étudiées sur ce cours d'eau. Les études sur cette station (Mahé et al., 1990, 2013; Bogning et al., 2020; Ebodé, 2020) ont déjà montré des changements climatiques avec des modifications du régime hydrologique du fleuve à partir de la décennie 1970. Bien qu'ayant déjà une certaine connaissance des modifications du régime hydrologique de l'Ogooué à cette station, il convient néanmoins de l'actualiser en intégrant les données des deux récentes décennies, compte tenu de ce que la quasi-totalité d'études sus-évoquées se fondent sur des données qui n'excèdent pas la décennie 1990. L'objectif principal de cet article est donc de documenter le type et l'ampleur des changements de régime hydrologique de l'Ogooué dus aux changements climatiques sur la période récente (1929–1930 à 2017–2018).
L'étude porte sur le bassin versant de l'Ogooué à
Lambaréné (215 000 km
Localisation du bassin versant de l'Ogooué.
Les séries de précipitations et de débits ont été
utilisées dans ce travail. Les débits (journaliers) de l'Ogooué
proviennent du SIEREM (Système d'Informations Environnementales sur les
Ressources en Eau et leur Modélisation). Elles contiennent des lacunes
sur les intervalles 1950–1953 et 1989–2000. Les débits de base ont
été extraits du débit total à partir du filtre récursif
Aquapak, en téléchargement libre sur :
Les séries pluviométriques proviennent de deux sources. Sur la
période 1940–1999, les grilles de pluies mensuelles SIEREM ont
été utilisées. Leur unité d'espace est une maille de surface
0,5
L'analyse des pluies, des débits et des coefficients d'écoulement a été réalisée à l'aide de tests statistiques de détection de rupture (corrélation sur le rang et test de Pettitt; Lubès et al., 1994) au seuil de signification 95 %. Le test de Pettitt semble être le plus approprié pour l'analyse des séries lacunaires comme celles utilisées dans cette étude, parce qu'il sépare la série uniquement en deux périodes ayant un comportement globalement distinct, ce qui évite la détection des fausses ruptures comme on peut parfois l'observer avec d'autres tests comme la segmentation d'Hubert. Son choix au détriment des tests de tendance (test de Mann–Kendall par exemple) se justifie par le fait qu'il indique une date à partir de laquelle le changement devient significatif statistiquement parlant (rupture), ce qui permet une meilleure appréciation de la variabilité.
Les précipitations annuelles du bassin versant de l'Ogooué évoluent de manière non significative à la diminution entre 1940–1941 et 2017–2018 (Fig. 2). Le test de Pettit ne détecte d'ailleurs aucune rupture dans leur série chronologique. L'analyse des moyennes décennales révèle cependant dans leur évolution, une alternance des séquences sèches et humides plus ou moins longues. Ainsi, il a été observé au cours des décennies 1990 et 2000 une légère reprise consécutive à la sécheresse des décennies 1970 et 1980, qui semble avoir été interrompue à nouveau au cours de la décennie 2010 (Tableau 1). Ce retour à des conditions plus humides au cours de la décennie 1990 a également été suggéré partout en Afrique de l'ouest comme au Sénégal (Alhassane et al., 2013), au Burkina Faso (Lodoun et al., 2013) et au Niger (Ozer et al., 2009). Cependant, le rehaussement signalé dans cette étude s'estompe au cours de la décennie 2010, tandis que celui relevé en Afrique de l'ouest persiste jusqu'à présent (Descroix et al., 2020).
Evolution des pluies, débits, débits de base et coefficients d'écoulement annuels et saisonniers du bassin du l'Ogooué sur leurs périodes d'études respectives.
Ecarts (%) des moyennes décennales annuelles et saisonnières des pluies, débits, débits de base et coefficients d'écoulement par rapport à leurs moyennes interannuelles sur le bassin étudié.
Les pluies des deux saisons sèches évoluent en tendances
croisées sur le bassin versant de l'Ogooué (Fig. 2). Les cumuls de
la saison sèche d'été évoluent statistiquement à la
hausse entre 1940–1941 et 2017–2018. Le test de Pettit met en évidence dans
leur série chronologique une rupture en 1979–1980 (Fig. 2). Le surplus
par rapport à la moyenne enregistré suite à cette dernière
est estimé à
Les cumuls des saisons pluvieuses (automne et printemps) n'ont pas connu de
diminution significative d'après le test de Pettit. Les écarts des
moyennes décennales à la moyenne interannuelle sont certes faibles
dans l'ensemble, mais ils laissent transparaître comme dans le cas des
totaux annuels, plusieurs séquences aux tendances évolutives
différentes (Tableau 1). De l'analyse de ces écarts, il ressort que
les pluies du printemps ont diminué de 2 % et 4,5 % au cours des
décennies 1970 et 1980. Mais depuis le début de la décennie
1990, on note en général dans leur évolution un très
léger rehaussement (Tableau 1). Dans le cas des pluies d'automne, une
hausse de
Les modules de l'Ogooué (annuels et saisonniers) évoluent à la
baisse sur la période d'étude (Fig. 2). Cette diminution n'est pas
significative statistiquement parlant dans le seul cas de l'automne (Fig. 2). Après la rupture observée en 1972–1973 dans les différents
cas, les déficits par rapport à la moyenne interannuelle
calculés pour les modules annuels, du printemps, de l'été et de
l'hiver sont respectivement de
Les résultats de cette étude corroborent les conclusions des premières études menées dans la région. Cette étude confirme une rupture dans la série des modules annuels de l'Ogooué durant le décennie 1970 (en 1972–1973), ce qui est en accord avec les travaux de Liénou et al. (2008) et Conway et al. (2009) qui mettent en évidence des ruptures respectivement sur le Ntem en 1970 et l'Ogooué en 1977. Le présent travail relève également une diminution plus importante de la crue du printemps comparée à celle d'automne. Un constat identique a été fait par Mahé et al. (2013) sur ce même bassin.
Il est certes vrai que la stationnarité des pluies et des écoulements ne montre pas de liens apparents sur le bassin versant de l'Ogooué aux pas de temps étudiés (annuel et saisonnier), mais l'analyse des écarts décennaux à la moyenne interannuelle montre des liens relativement importants entre ces variables. Au pas de temps annuel, les tendances observées pour les précipitations entre les décennies 1970–1980 (baisse), 1990–2000 (rehaussement) et au cours de la décennie 2010 (rechute) sont identiques à celles enregistrées pour les écoulements (Tableau 1). On remarque cependant une diminution de débits plus forte que celle des pluies. Ceci ne pourrait s'expliquer que par une diminution des apports souterrains, ce que semble corroborer l'étude des débits de base. En effet, les débits de base diminuent considérablement, ce qui indique une vidange des nappes. Après les séries de sécheresse des années 1970 et 1980, on a assisté à un appauvrissement sévère des nappes phréatiques si bien que l'amélioration de la pluviométrie des décennies 1990 et 2000 sur le bassin n'a pas pu entraîner leur reconstitution. C'est ce qui a provoqué des disproportions parfois importantes entre les diminutions de la pluviométrie et de l'écoulement à partir de la décennie 1970.
Durant le printemps, les précipitations ont évolué modérément, de sorte qu'aucune rupture n'a été détectée dans leur série. A l'inverse, les débits de base, les débits moyens et les coefficients d'écoulement de cette saison diminuent de manière statistiquement significative depuis la décennie 1970. De même, l'examen des écarts à la moyenne de ces variables montre généralement des diminutions importantes pour ces mêmes variables, pendant que les pluies ne diminuent pas ou diminuent peu (Tableau 1). Le fléchissement des pluies d'hiver depuis la décennie 1970 semble être en rapport étroit avec celui des écoulements du printemps. Le rythme d'évolutions de ces deux variables au fil des décennies est similaire. Cela est clairement visible au cours de la décennie 2000 pour laquelle, une hausse des pluies d'hiver a entraîné un relèvement considérable des débits de base, des coefficients d'écoulement et des débits du printemps (Tableau 1). Il en est de même au cours de la décennie d'après où un fléchissement des pluies d'hiver est synchrone avec celui des variables d'écoulement étudiées, pendant que les pluies du printemps ont diminué elles-mêmes d'environ 2%. Cette influence des précipitations d'hiver a déjà été suggérée par Liénou et al. (2008). Ces auteurs soutiennent qu'à partir de la décennie 1970, la baisse des pluies d'hiver crée un plus important déficit hydrique (évaporation et réserve en eau du sol) du bassin versant au début de la première saison des pluies du printemps. Cette aridification de l'hiver fait qu'une partie plus importante des précipitations reçues pendant le printemps participe d'abord au comblement de ce déficit hydrique, et donc la fraction qui génère effectivement les écoulements se trouve réduite. Ce qui se traduit alors par des lames écoulées plus faibles pour les mêmes hauteurs moyennes de précipitations durant le printemps, c'est ce qui explique la baisse du coefficient d'écoulement.
En automne, les pluies et les écoulements diminuent très légèrement sur l'ensemble de la période d'étude. Mais cependant, au cours des décennies 1980 et 2000, les variables d'écoulement augmentent, alors que les pluies ne varient pas beaucoup dans l'ensemble. Cette augmentation résulterait de la hausse des pluies d'été. L'impact des précipitations d'été sur les écoulements d'automne est davantage perceptible durant les décennies 2010 pour laquelle il est noté une diminution conjointe des pluies d'été, des débits de base, des coefficients d'écoulement et des débits d'automne, malgré une variation négligeable des pluies d'automne (Tableau 1). Au regard de ces évolutions, il ressort que, l'augmentation des pluies au cours de la saison sèche d'été durant les décennies allant de 1970–1990, réduit considérablement le déficit d'évaporation et des réserves en eau du sol au début de la saison de pluies d'automne, favorisant le ruissellement (Liénou et al., 2008; Ebodé et al., 2020). La partie des précipitations qui participe effectivement à l'écoulement s'accroît, d'où une augmentation du coefficient d'écoulement d'automne au cours de ces décennies (Tableau 1). La diminution des pluies d'été durant les décennies 2000 et 2010 entraîne l'effet inverse, c'est pourquoi il est constaté au cours de ces dernières une réduction des coefficients d'écoulement, responsable d'une baisse des débits.
Jusqu'à présent, peu d'études d'hydroclimatologie ont porté sur le bassin de l'Ogooué à Lambaréné, du fait des lacunes d'observation dans les séries chronologiques des débits et de l'inexistence des données de pluies dans certaines parties du bassin après les années 2000. Pour effectuer cette étude, nous avons réalisé un travail de validation de deux sources de données pertinentes disponibles pour la région (SIEREM et TRMM). Un réajustement (au moyen des coefficients correcteurs) des données TRMM a par la suite été opéré pour les mois présentant des écarts importants entre les deux sources. La série complète des pluies obtenue explique assez bien la variabilité des écoulements sur ce bassin. L'analyse de cette série des précipitations et celle des écoulements montre en effet une évolution synchrone entre les deux variables comparées. En plus de la concordance notée entre elles à l'échelle annuelle au fil du temps, on constate également que les décennies 1970 et 1980, marquent le début d'un changement important dans l'évolution des précipitations des saisons sèches dans le bassin, caractérisé par une augmentation des volumes précipités en été et une diminution en hiver. Ces modifications observées jusqu'à la fin de la décennie 1990 ont provoqué une modification des écoulements des saisons de pluies qui les suivent directement. Il a ainsi été relevé une augmentation des écoulements d'automne et une baisse de ceux d'hiver sur cette même période. Le début de la décennie 2000 est marqué par une inversion des tendances. On note désormais une baisse des pluies d'été accompagnée d'une diminution des écoulements d'automne, et inversement une hausse de celles d'hiver synchrone avec un relèvement des écoulements du printemps.
Les logiciels utilisés pour l'analyse et le traitement des données dans cette étude (Khronostat 1.01 et QGIS 3.20) sont gratuits. Les liens donnant accès aux sites sur lesquels ils peuvent être téléchargés sont les suivants :
Les données de débits utilisées dans cette étude proviennent du SIEREM. Pour entrer en possession de ces données, il faudrait nécessairement entrer en contact avec la responsable actuelle de la banque des données à l'adresse : nathalie.rouche@umontpellier.fr.
Les données de pluies (SIEREM et TRMM) par contre, sont disponibles gratuitement en ligne sur les sites :
Ce travail a été conceptualisé par VBE. La collecte, le traitement et l’analyse des données ont été effectués par VBE. Le projet a été dirigé par GM. La rédaction du manuscrit et la relecture ont été faites par VBE, EA et GM.
Les auteurs déclarent qu'ils n'ont aucun conflit d'intérêts.
Publisher’s note : Copernicus Publications remains neutral with regard to jurisdictional claims in published maps and institutional affiliations.
This article is part of the special issue “Hydrology of Large River Basins of Africa”. It is a result of the 4th International Conference on the “Hydrology of the Great Rivers of Africa”, Cotonou, Benin, 13–20 November 2021.
Les auteurs remercient chaleureusement les agents de la Représentation de l'IRD (Institut de Recherche pour le Développement) au Cameroun et la direction du LMI DYCOFAC (notamment Jean-Jacques Braun), à Yaoundé, pour leur soutien administratif.